Ces dernières années, l’un des principaux challenges en recherche a été de comprendre le fonctionnement des maladies à l’échelle moléculaire. Mais décrire la composition moléculaire d’un organe ou d’une cellule sans le détruire n’est pas chose aisée. Et s’il existait une méthode permettant de décrire moléculairement un échantillon de manière rapide, sans le détruire, simplement grâce à de la lumière ? C’est ce qu’est la spectroscopie Raman. Cette technique se base sur le principe de l’effet Raman, du nom de son inventeur Sir Chandrasekhara Venkata Raman en 1923, et qui lui a valu le prix Nobel en 1930. Cette technologie pourrait donc vous paraître vieille, mais de récentes améliorations par de nombreux scientifiques ont permis son utilisation dans la médecine moderne.
Imaginez que vous êtes un chirurgien. Un nouveau patient souffrant d’une maladie du foie arrive, et vous devez déterminer la gravité de sa pathologie. Dans le meilleur des cas, une simple analyse de sang ou une échographie fera l’affaire. Mais très souvent, il faudra avoir recours à une méthode invasive telle qu’une biopsie, permettant de prélever un échantillon du foie qui prendra ensuite plusieurs jours à être analysé en laboratoire. Ces méthodes prennent du temps et sont soumises aux erreurs humaines lors des analyses. Dans un futur proche, le foie pourra être directement analysé en combinant un spectroscope de Raman à une intelligence artificielle pour fournir des informations précises sur la condition du patient et le meilleur traitement à administrer.
Ça ressemble à une technologie sortie tout droit d’un film de science-fiction ? Mais ça pourrait devenir une réalité bien plus tôt que vous le pensez ! Mais comment fonctionne la spectroscopie Raman ?
La spectroscopie, ou l’interaction entre la lumière et la matière
J’ai toujours détesté la biophysique lorsque j’étais étudiant, mais il s’est avéré que les bases de cette discipline sont finalement assez simples à comprendre ! Tout d’abord, laissez-moi vous expliquer ce qu’est la spectroscopie : c’est l’étude des interactions entre la lumière (une onde électromagnétique) et un échantillon. Une onde électromagnétique est composée de vagues d’énergie constituées de photons. La lumière visible est assez bien connue, mais il se peut que vous connaissiez d'autres ondes électromagnétiques comme les infrarouges, les ultraviolets, les micro-ondes, la radio, les rayons X ou encore les rayons gamma. Certaines vous sont d’ailleurs très utiles au quotidien pour utiliser votre smartphone ou votre ordinateur !
Il existe plusieurs catégories de spectroscopie, classées selon le type d’interaction entre la lumière et l’échantillon considéré. La spectroscopie Raman se focalise sur la diffusion de la lumière. Lorsque cette dernière traverse un échantillon, elle se retrouve divisée en 3 parties : Une partie est absorbée par l’échantillon, une autre le traverse, et la dernière est déviée par celui-ci, ce que l’on appelle la diffusion. Si la lumière une fois diffusée garde la même énergie, on parle de diffusion ‘’élastique’’ (ou diffusion de Rayleigh). Cependant, si son énergie augmente ou diminue, c’est ce qu’on appelle l’effet Raman. Ce changement d’énergie met en évidence une interaction entre la lumière et l’échantillon, qui est dépendante de la composition moléculaire de ce dernier. Le résultat obtenu est appelé un spectre de l’échantillon, sur lequel chaque pic indique un ‘’mode vibrationnel’’. Ces derniers peuvent être considérés comme les empreintes digitales d’une molécule, et constituent donc des données essentielles qui peuvent être spécifiques de certains biomarqueurs 1.
Une ancienne technologie aux applications récentes
Vous devez maintenant vous demander comment cette technologie, qui pour l’instant ne semblerait utile qu’à des physiciens, pourrait être utilisée dans un hôpital. Nous nous sommes aussi posé cette question pendant une longue période. L’effet Raman a été découvert en 1928, et l’invention du laser dans les années 60 a permis aux physiciens de lui trouver une utilité pour des petites molécules. Il était en revanche très compliqué de l’exploiter pour des échantillons biologiques qui contiennent des centaines de milliers de molécules complexes. Mais aujourd’hui, la spectroscopie Raman gagne en popularité grâce à des nombreuses innovations technologiques, à la démocratisation des lasers et au développement des outils informatiques et de l’intelligence artificielle.
En effet, la puissance des ordinateurs modernes permet l’analyse simultanée de plusieurs millions de spectres de diffusion pour un unique échantillon biologique. Combinés à des programmes d’intelligence artificielle, il est alors possible d’apprendre à des algorithmes à reconnaître des molécules spécifiques à partir des spectres et de recréer des cartes moléculaires des échantillons.
De nombreuses applications mettant en œuvre cette technique sont en cours de développement : par exemple, sur la peau, la spectroscopie Raman peut aisément distinguer les différentes couches la composant et même estimer l’âge de l’échantillon en fonction de la qualité du collagène 2. Cette technique change également beaucoup de choses en chirurgie, où des sondes Raman portables sont capables d’aider le neurochirurgien à différencier la tumeur du tissu sain, permettant de réduire grandement le risque de rechute 3. Enfin, la spectroscopie Raman peut être utilisée sur les fluides tels que le sang, la salive ou l’urine (plus accessibles que les tissus) comme avec la création de modèles prédictifs ayant permis de détecter des cancers colorectaux à partir de molécules présentes dans le plasma des patients 4.
Ce ne sont ici que quelques exemples, mais des centaines de brillants chercheurs développent chaque jour de nouvelles innovations utilisant la spectroscopie Raman pour faire en sorte qu’un jour, votre diagnostique soit à la fois rapide, précis et spécifique à votre problème, ouvrant la voie à des traitement personnalisés. Toutes ces améliorations, pour une technique si simple et accessible que vous pourriez presque l’utiliser avec votre smartphone !
Références
1. Butler, H et al. (2016) Using Raman spectroscopy to characterize biological materials. Nat Protoc. http://doi.org/10.1038/nprot.2016.036
2. Villaret A et al. (2019) Raman characterization of human skin aging. Skin Res Technol. http://doi.org/10.1111/srt.12643
3. DePaoli D et al. (2020) Rise of Raman spectroscopy in neurosurgery: a review. Journal of biomedical optics. http://doi.org/10.1117/1.JBO.25.5.050901
4. Ito H et al. (2020) Highly accurate colorectal cancer prediction model based on Raman spectroscopy using patient serum. World J Gastrointest Oncol. http://doi.org/10.4251/wjgo.v12.i11.1311
Cet article a été édité par le spécialiste Prof. Claire Mangeney, révisé par Kyrie Grasekamp et traduit de l'anglais par Enzo Peroni. Cet article est le fruit d'une collaboration avec ComSciCon France, un atelier de travail sur la communication scientifique pour les doctorants.
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