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Artwork by Alba Llach Pou

Milieux Extrêmes: Leçons des fonds marins

Adaptations du cœur : Solutions comparatives à la plongée et l’hypoxie entre espèces…

Illustré par Alice Bongers
Illustré par Alice Bongers

Plusieurs mécanismes physiologiques ont évolué pour permettre aux organismes de faire face aux milieux extrêmes, comme les hautes altitudes ou les grandes profondeurs océaniques. Ces mécanismes comprennent des différences dans le transport et l’utilisation de l’oxygène, des changements métaboliques, des stratégies pour conserver la chaleur en environnements froids, des adaptations pour résister à de fortes pressions, des mécanismes pour survivre dans le noir et l’utilisation efficace d’énergie pour répondre à la disponibilité réduite de nourriture. En haute altitude, la réduction de la pression de l’oxygène conduit à un état hypoxique. Pour y faire face, le corps déclenche des changements physiologiques systémiques, qui peuvent, au fil du temps, mener à une acclimatation. Celle-ci augmente la tolérance à l’hypoxie en entraînant un meilleur taux d’oxygène artériel, une amélioration de sa distribution et une meilleure performance de l'exercice aérobie (Mallet et al., 2023). Ces adaptations biologiques se traduisent par des niveaux de performance élevés chez les populations autochtones des hautes altitudes (Beall, 2003). On peut catégoriser ces adaptations selon la durée d’exposition : acclimatation (changements temporaires et à court terme), plasticité phénotypique (caractéristiques qui se développent pendant la vie d’un organisme) et adaptation biologique (caractéristiques permanentes et héritables qui évoluent au cours des générations).

 

Les profondeurs océaniques représentent un autre milieu extrême auquel des populations humaines, telles que les nomades de la mer (les Bajau), se sont adaptées grâce à l’exposition à long terme à l’hypoxie. Les Bajau sont connus pour leur capacité à effectuer de longues plongées en apnée. Cette capacité serait dû en partie à la sélection naturelle, qui a conduit à diverses adaptations physiologiques incluant une rate plus volumineuse. Une rate plus grande fournit un plus grand réservoir de globules rouges oxygénés, ce qui permet de libérer plus d’oxygène pendant les plongées. De plus, des modifications du réflexe d’immersion, comme l’augmentation de la vasoconstriction périphérique, permettent au corps de privilégier l’oxygénation d’organes importants, comme le cerveau, le cœur, et les poumons, ce qui peut potentiellement prolonger la durée de la plongée (Ilardo et al., 2018).



Figure 1. Un pêcheur Bajau. Photo de National Geographic.
Figure 1. Un pêcheur Bajau. Photo de National Geographic.

Il est intéressant de noter que des adaptations physiologiques similaires peuvent avoir lieu chez des individus d'ethnies différentes qui pratiquent l’apnée en tant que sport. Cette activité implique des réponses physiologiques intégratives à la fois à l’exercice et à l’asphyxie lorsque les plongeurs descendent à des profondeurs de plus en plus grandes. Même avant de plonger, des changements physiologiques ont lieu pendant l’immersion partielle, tels que des restrictions locales du flux sanguin. Lors de l’inspiration finale avant l’immersion, le volume pulmonaire augmente de 11-26% (Patrician et al., 2021). Le cœur joue un rôle crucial dans le transport d’oxygène, lié à l’hémoglobine, vers tous les tissus du corps, leur permettant ainsi de fonctionner de manière optimale. La fréquence cardiaque, c’est-à-dire le nombre de battements par minute, s’adapte aux besoins en oxygène de l'organisme, qui varient selon les situations. Un mécanisme particulièrement fascinant observé lors de la plongée en apnée est le réflexe d’immersion des mammifères. Cette réaction comprend une réduction du rythme cardiaque (bradycardie) et une vasoconstriction des vaisseaux sanguins périphériques, ce qui diminue le flux sanguin vers les organes non essentiels. Ces changements physiologiques, déclenchés par l'immersion du visage, agissent ensemble pour réduire la consommation d'oxygène, entraînant des fréquences cardiaques aussi basses que 20-30 battements par minute pendant les plongées (Patrician et al., 2021). Notons que la bradycardie, caractérisée par une fréquence cardiaque inférieure à 60 battements par minute, peut être un facteur de risque d'événements cardiovasculaires futurs (Makita et al., 2014). Cependant, la bradycardie observée lors du réflexe d’immersion des mammifères est une adaptation temporaire initiée par une activité nerveuse parasympathique accrue, qui ralentit le rythme cardiaque (Patrician et al., 2021). Les nerfs parasympathiques et sympathiques, composants du système nerveux autonome, régulent les fonctions corporelles involontaires telles que le rythme cardiaque, le nerf parasympathique favorisant la relaxation.


Un aspect particulièrement intéressant du réflexe d’immersion est que les adaptations physiologiques observées chez l'humain lors d'immersions aiguës se retrouvent également chez d'autres mammifères aquatiques, ce qui soutient la conservation évolutive de ces mécanismes. Récemment, une balise non invasive équipée d'électrodes de surface a été mise au point pour mesurer la fréquence cardiaque des mammifères marins pendant les plongées de recherche de nourriture en profondeur et à la surface (Goldbogen et al., 2019). Cette technologie a permis d'obtenir des informations précieuses sur les stratégies physiologiques employées par ces animaux. La baleine bleue, en particulier, offre une perspective unique sur la façon dont la taille extrême du corps et la vie en eaux profondes affectent les processus biologiques fondamentaux tels que la respiration, la circulation et la gestion de l'énergie. La taille massive de la baleine présente des défis distincts pour ses systèmes circulatoire et respiratoire, ce qui en fait un excellent modèle pour étudier comment les grands animaux transportent efficacement l'oxygène et les nutriments dans leur corps (Goldbogen et Madsen, 2021).


Figure 2. Balise de marquage par ventouse sur une baleine bleue, conçu pour la surveillance in vivo du rythme cardiaque en haute mer. Vidéo de Kurt Hickman, Stanford Report.

La baleine bleue, le plus grand animal vivant de la planète, mesurant jusqu'à 30 mètres de long et pesant jusqu'à 160 tonnes, effectue des plongées allant jusqu'à 184 mètres de profondeur et pouvant durer jusqu'à 16,5 minutes. Au cours de ces plongées, le rythme cardiaque de la baleine diminue jusqu'à environ 2 battements par minute (bpm), ce qui est similaire à la diminution observée chez l'humain au cours de la plongée. Après la remontée à la surface, la fréquence cardiaque augmente à 25-37 bpm pour faciliter un échange gazeux rapide pendant les brèves périodes de ventilation. Cette fréquence cardiaque basse pendant la plongée est due à la crosse aortique élastique de grand diamètre de la baleine, qui permet à l'aorte d'accueillir le sang éjecté par le cœur et de maintenir le flux sanguin pendant les pauses prolongées et variables entre les battements de cœur (Goldbogen et al., 2019). L'objectif principal d'une fréquence cardiaque plus basse pendant les plongées est de ralentir l'épuisement global des réserves d'oxygène dans le sang tout en réduisant la consommation d'oxygène du cœur lui-même. Une augmentation de la fréquence cardiaque, et par conséquent de l'apport d'oxygène aux tissus, entraînerait un épuisement plus rapide de ces réserves d'oxygène. Cependant, le maintien d'une faible fréquence cardiaque permet non seulement de prolonger les temps de plongée, mais aussi de réduire le risque d'accident de décompression (Goldbogen et Madsen, 2021). Comme les humains, les baleines bleues présentent un réflexe d’immersion caractérisé par une vasoconstriction périphérique. Avec la bradycardie, cette réaction limite l'irrigation sanguine de la plupart des organes, à l'exception du cerveau et du cœur, afin de garantir que ces tissus critiques reçoivent suffisamment d'oxygène pendant les plongées prolongées (Goldbogen et Madsen, 2021).


Les adaptations physiologiques observées lors de l’apnée et de la plongée profonde, telles que la réduction du rythme cardiaque et la vasoconstriction, ne sont pas propres aux baleines bleues, mais sont également retrouvées chez d'autres mammifères marins, notamment les dauphins, les phoques de Weddell et les otaries (Williams et al., 2015) (Ponganis et al., 2017).


La compréhension des mécanismes physiologiques sous-jacents aux adaptations aux conditions extrêmes sur Terre pourrait avoir d'importantes applications biomédicales. Par exemple, l'exposition chronique à l'hypoxie en haute altitude a été associée à une réduction de la mortalité due au cancer, probablement en raison des processus d'adaptation physiologique liés à cette exposition (Thiersch et Swenson, 2018). De plus, une meilleure compréhension des mécanismes et des conséquences des faibles fréquences cardiaques observées chez les mammifères marins pendant la plongée, ainsi que de la modulation de leur structure vasculaire, pourrait améliorer notre compréhension de l'origine, des causes, du développement et de l'impact des arythmies sur la santé humaine.


 

Réferences


  1. Beall, C. M. (2003) “High-altitude adaptations,” Lancet. Elsevier BV, 362, pp. s14–s15. doi: 10.1016/s0140-6736(03)15058-1.

  2. Goldbogen, J. A. et al. (2019) “Extreme bradycardia and tachycardia in the world’s largest animal,” Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America. Proceedings of the National Academy of Sciences, 116(50), pp. 25329–25332. doi: 10.1073/pnas.1914273116.

  3. Goldbogen, J. A. and Madsen, P. T. (2021) “The largest of August Krogh animals: Physiology and biomechanics of the blue whale revisited,” Comparative biochemistry and physiology. Part A, Molecular & integrative physiology. Elsevier BV, 254(110894), p. 110894. doi: 10.1016/j.cbpa.2020.110894.

  4. Ilardo, M. A. et al. (2018) “Physiological and genetic adaptations to diving in sea nomads,” Cell. Elsevier BV, 173(3), pp. 569-580.e15. doi: 10.1016/j.cell.2018.03.054.

  5. Makita, S. et al. (2014) “Bradycardia is associated with future cardiovascular diseases and death in men from the general population,” Atherosclerosis. Elsevier BV, 236(1), pp. 116–120. doi: 10.1016/j.atherosclerosis.2014.06.024.

  6. Mallet, R. T. et al. (2023) “Molecular mechanisms of high-altitude acclimatization,” International journal of molecular sciences. MDPI AG, 24(2), p. 1698. doi: 10.3390/ijms24021698.

  7. Patrician, A. et al. (2021) “Breath-hold diving - the physiology of diving deep and returning,” Frontiers in physiology. Frontiers Media SA, 12, p. 639377. doi: 10.3389/fphys.2021.639377.

  8. Ponganis, P. J. et al. (2017) “Heart rate regulation in diving sea lions: the vagus nerve rules,” The journal of experimental biology. The Company of Biologists, 220(8), pp. 1372–1381. doi: 10.1242/jeb.146779.

  9. Thiersch, M. and Swenson, E. R. (2018) “High altitude and cancer mortality,” High altitude medicine & biology. Mary Ann Liebert Inc, 19(2), pp. 116–123. doi: 10.1089/ham.2017.0061.

  10. Williams, T. M. et al. (2015) “Exercise at depth alters bradycardia and incidence of cardiac anomalies in deep-diving marine mammals,” Nature communications. Springer Science and Business Media LLC, 6(1), p. 6055. doi: 10.1038/ncomms7055.


Cet article a été révisé par Etienne Patin. Traduit de l'anglais par Claire Lavergne et Hiba Belkadi


Rencontrez l'auteur: Juan Diego Hernández Camacho

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