L’optogénétique est composée de différents outils et techniques qui combinent l’ingénierie génétique avec la stimulation lumineuse, permettant de contrôler l’activité et le comportement cellulaires avec de la lumière (1) Ces innovations, issues des neurosciences, se sont depuis étendues à pratiquement toutes les disciplines de la recherche en biologie et sont même testées dans les contextes cliniques.
L’optogénétique est composée de différents outils et techniques qui combinent l’ingénierie génétique avec la stimulation lumineuse, permettant de contrôler l’activité et le comportement cellulaires avec de la lumière (1). Ces innovations, issues des neurosciences, se sont depuis étendues à pratiquement toutes les disciplines de la recherche en biologie et sont même testées dans les contextes cliniques.
Les origines de l’optogénétique en neurosciences
Le cerveau est un circuit remarquablement complexe dans lequel des signaux sont constamment envoyés et reçus par des cellules appelées neurones. Pour explorer la structure profonde de ce réseau et comprendre quelles cellules sont importantes dans la transmission des différents signaux, les chercheurs ont tenté pendant de nombreuses années d’activer ou de désactiver des cellules spécifiques à des localisations précises dans le cerveau de manière contrôlée dans le temps (2). Le concept d’utiliser la lumière pour déclencher ces activations a été initialement suggéré par Francis Crick, lauréat du prix Nobel pour ses travaux sur la structure de l’ADN. En 1999, Crick écrivait « le signal idéal serait la lumière… Cela peut sembler irréaliste, mais il est envisageable que des biologistes moléculaires puissent concevoir un type cellulaire particulier répondant à la lumière de cette façon » (3) Quelques années plus tard, ce concept théorique est devenu une réalité.
En 2005, des scientifiques ont réussi pour la première fois à utiliser la lumière pour contrôler des neurones de mammifères avec un outil biologique unique, un an avant que le terme « optogénétique » ne soit inventé (2, 4). Dans cette étude, les chercheurs ont introduit la Channelrhodopsin-2, une protéine de surface provenant d’une algue, dans des neurones de rats (2). La Channelrhodopsin-2 est une protéine pouvant ouvrir un canal en réponse à la lumière bleue, permettant l’entrée dans la cellule de molécules chargées positivement. Chez l’algue, ce mécanisme déclenche un mouvement, lui permettant de nager vers la lumière et d’exploiter son énergie grâce à la photosynthèse. Chez les animaux en revanche, à la surface des neurones, l’ouverture de ces canaux transmet un signal électrique qui est transformé en signal biochimique permettant à la cellule de communiquer avec ses voisines (Fig. 1). Ainsi, l’exposition à la lumière bleue peut être facilement utilisée pour activer ces cellules. De plus, en ajustant précisément les impulsions lumineuses employées, les chercheurs ont découvert qu’ils pouvaient reproduire les rythmes des impulsions électriques générées naturellement par les neurones, ouvrant la voie vers une utilisation de la lumière pour contrôler directement les signaux électriques dans le cerveau et permettre de comprendre sa complexité.
Figure 1
En effet, cette technologie a été rapidement transférée depuis les cellules cultivées en flasques vers les animaux de laboratoire. Des fibres optiques sont ainsi utilisées pour transmettre directement la lumière dans le cerveau des rats ou des souris génétiquement modifiés pour produire cet outil sensible à la lumière. Avec ce même principe du signal électrique induit par la lumière, les chercheurs ont montré qu’ils peuvent directement contrôler des régions spécifiques du cerveau. Des neurones moteurs peuvent être activés pour déclencher le mouvement des vibrisses (5), et la stimulation des régions du cerveau associées à l’apprentissage et la récompense peut induire ou réprimer des comportements sociaux (6) Contrôler le comportement avec des impulsions lumineuses ressemble beaucoup au scénario d’un thriller dystopique mais les chercheurs espèrent pouvoir adapter cette technologie au traitement des crises de la maladie de Parkinson en permettant un contrôle en temps réel de l’activité neuronale de manière non invasive (6).
Le transfert de l’optogénétique vers des fonctions et des systèmes diversifiés
Le contrôle des cellules avec la lumière a des applications potentielles qui ont été rapidement identifiées par les chercheurs de toutes les branches de la biologie. De nombreux systèmes d’optogénétique ont ainsi été développés chez plusieurs organismes. En utilisant l’outil de recherche de littérature biomédicale PubMed, le terme « optogénétique » ne renvoie qu’à 3 résultats entre 1995 et 2006, contre 1 495 résultats uniquement en 2021.
Cette explosion dans la technologie d’optogénétique est due en partie à la découverte de plusieurs « protéines photoréceptrices » pouvant détecter différentes longueurs d’onde lumineuses et répondre de plusieurs manières. Tout comme la Channelrhodopsin-2 répond à la lumière bleue en ouvrant un canal, d’autres photorécepteurs peuvent répondre à la lumière bleue, rouge ou infra-rouge en changeant de forme, en s’agrégeant entre elles ou même en se liant à d’autres molécules (1). De plus, certains photorécepteurs ont des activités déclenchées par une certaine longueur d’onde lumineuse et sont inactivés par une autre, produisant un interrupteur on/off simple. La grande diversité des signaux entrants et sortants signifie que l’on peut utiliser ces interrupteurs moléculaires dans de nombreux systèmes biologiques différents et générer des réponses spécifiques.
Par exemple, les photorécepteurs de la classe des Cryptochromes 2 (CRY2) sont stimulés par la lumière bleue et s’agrègent entre eux (1). Puisque l’autoagrégation est un signal d’activation commun à de nombreuses protéines, cet interrupteur activé par la lumière peut être accroché à de tels composants d’une cellule pour permettre un contrôle rapide et précis de processus cellulaires variés. Par exemple, chez la drosophile, animal modèle très commun en laboratoire, la mort cellulaire est stimulée par l’agrégation d’une protéine appelée Dronc. En reliant le photorécepteur CRY2 à la protéine Dronc, des chercheurs de l’Institut Pasteur ont développé l’outil optogénétique optoDronc permettant à des cellules précises de certains tissus d’être sélectivement tuées à des moments spécifiques avec une exposition à la lumière bleue (7) (Fig. 2). Cet outil a été utilisé notamment pour comprendre comment un tissu se protège et maintient son intégrité lorsqu’il fait face à une mort cellulaire simple ou multiple (7).
Figure 2
Applications cliniques de l’optogénétique
En plus de leur contribution importante à la recherche fondamentale, ces outils sensibles à la lumière ont un potentiel clinique conséquent. Les succès de l’optogénétique comme moyen de contrôler l’activité cérébrale ont déclenché un certain engouement à l’idée de nouveaux traitements non-invasifs des maladies neurologiques. Plusieurs stratégies optogénétiques ont été testées avec succès dans des modèles de rongeurs épileptiques dans lesquels elles permettent d’arrêter les crises et pourraient ainsi constituer une thérapie efficace pour des formes de cette maladie résistantes aux médicaments usuels (8). De la même manière, la stimulation optogénétique de neurones spécifiques chez des modèles murins de la maladie de Parkinson permet de diminuer ses effets réduisant la mobilité (9). Bien que prometteuses, les applications cliniques de ces approches sont toujours en développement et de nombreuses questions sont encore sans réponse, notamment comment ces systèmes génétiques peuvent être acheminés, produits et stimulés dans les patients de manière sécurisée.
Toutefois, l’utilisation clinique de l’optogénétique chez l’homme a déjà rencontré quelques succès. En 2021, un traitement optogénétique a restauré avec succès des fonctions visuelles chez un patient aveugle (10). Ce patient souffrait de rétinite pigmentaire, une maladie héréditaire rendant progressivement aveugle, et il ne pouvait pas visuellement détecter des objets. Après un traitement par ChrimsonR, une version optimisée de la Channelrhodopsin-2, le patient pouvait percevoir, localiser, compter et toucher différents objets lorsqu’il portait des lunettes de stimulation lumineuse. Il s’agit du premier cas rapporté d’utilisation de l’optogénétique pour restaurer une fonction biologique dans le cadre d’une maladie neurodégénérative.
En résumé, l’optogénétique est un outil permettant un contrôle rapide, précis et non-invasif de fonctions cellulaires fondamentales. Ces caractéristiques rendent cette technique de plus en plus prisée par les chercheurs voulant manipuler et comprendre les systèmes biologiques. Bien que leur utilisation clinique reste à explorer, leur contribution dans les laboratoires de recherche modernes est déjà substantielle et ne fera probablement qu’augmenter dans les années à venir.
Références
1. Krueger, D. et al. Principles and applications of optogenetics in developmental biology. Development 146, (2019).
2. Boyden, E. S., Zhang, F., Bamberg, E., Nagel, G. & Deisseroth, K. Millisecond-timescale, genetically targeted optical control of neural activity. Nature Neuroscience 2005 8:9 8, 1263–1268 (2005).
3. Crick, F. The impact of molecular biology on neuroscience. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences 354, 2021 (1999).
4. Deisseroth, K. et al. Mini-Symposium: Next-Generation Optical Technologies for Illuminating Genetically Targeted Brain Circuits. The Journal of Neuroscience 26, 10380 (2006).
5. Aravanis, A. M. et al. An optical neural interface: in vivo control of rodent motor cortex with integrated fiberoptic and optogenetic technology. J Neural Eng 4, S143 (2007).
6. Li, L. et al. Colocalized, bidirectional optogenetic modulations in freely behaving mice with a wireless dual-color optoelectronic probe. Nature Communications 2022 13:1 13, 1–14 (2022).
7. Valon, L. et al. Robustness of epithelial sealing is an emerging property of local ERK feedback driven by cell elimination. Dev Cell 56, 1700 (2021).
8. Wykes, R. C., Kullmann, D. M., Pavlov, I. & Magloire, V. Optogenetic approaches to treat epilepsy. J Neurosci Methods 260, 215–220 (2016).
9. Fougère, M. et al. Optogenetic stimulation of glutamatergic neurons in the cuneiform nucleus controls locomotion in a mouse model of Parkinson’s disease. Proc Natl Acad Sci U S A 118, (2021).
10. Sahel, J. A. et al. Partial recovery of visual function in a blind patient after optogenetic therapy. Nature Medicine 2021 27:7 27, 1223–1229 (2021).
Cet article a été édité par Léo Valon et révisé par Kyrie Grasekamp. Traduit de l'anglais par Emilie Auria.
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